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Manifeste des Femmes du Cameroun* contre la loi Boko - Haram

12 Janvier 2015 , Rédigé par afrohistorama, Toute l'histoire sans histoire Publié dans #Politique

Marie Louise Eteki Otabela

Marie Louise Eteki Otabela

Manifeste des Femmes du Cameroun* contre la loi Boko - Haram.

 

 

Lettre ouverte à Son Excellence  Paul Biya, Président de la République

D’une tradition de rébellion...à la loi sur « le terrorisme » : parole de femmes !

Manifeste des Femmes du Cameroun* contre la loi Boko - Haram

Décembre 2014

 

Excellence,  Monsieur le Président,

 

N’ayant pas réussit à vous empêcher de promulguer cette loi avec les nombreuses protestations qui se sont élevées  de votre Peuple, protestations que vous avez balayé  le 31 décembre d’un revers de la main en les qualifiant « d’esprits mal intentionnés », au nom des femmes camerounaises, nous vous  adressons cette lettre pour vous annoncer  que  trois distinguées*(1) d’entre nous vont organiser la mobilisation générale au Cameroun pour la libération de notre pays.

 

D’une tradition de rébellion...

Depuis toujours les femmes camerounaises ont individuellement ou en groupe, pensé, lutté, et organisé des espaces de mieux vivre dans leur quotidien. Que ce soit dans le passé ou dans la société moderne, s’occuper de son foyer, élever ses enfants, prendre en charge des membres de la grande famille, soutenir le mari dans son ascension sociale par le travail productif aux champs, à l’usine, dans les plantations industrielles, en ville dans le commerce des produits alimentaires ou dans le travail de bureau, ont toujours été pour elles un combat permanent. Quelle qu’ait pu être la forme de ce combat, il s’est toujours inscrit dans un ordre patriarcal dominant.

Vivre dans cette société, surtout organisée pour l’épanouissement des hommes, y réussir à préserver une certaine intégrité physique et morale, équivaut pour les femmes à se faire violence .Alors périodiquement, à titre individuel ou collectif, cette violence s’exprime  par des scènes de ménages ou par des rebellions organisées. Ainsi les rebellions des femmes dont parle Peter Geschière*(2).

Avec  l’économie monétaire et l’expansion des cultures de rente, ces modes de rébellion traditionnels sont devenus des « mascarades » cachant des mécanismes de reproduction de l’ordre social dominant. Les femmes devaient, pour être acceptées dans la nouvelle société, prouver qu’elles valaient les hommes.

...à la loi sur le « terrorisme »*(3)

Un pas de plus est alors franchi avec les guerres d’Indépendance, les Africaines étaient convaincues que l’indépendance nationale serait pour elles aussi la fin de la servitude en tant que femme. Au Cameroun par exemple, elles ont été jusque dans le maquis, sacrifier leur vie. C’est ainsi que nous devons à nos aînées certains acquis législatifs : sur le plan politique, être considérées comme des citoyennes à part entière ; sur le plan économique, l’indépendance n’est plus un leurre ; sur le plan social surtout : aller à l’école n’est plus un privilège mais un droit ; les mariages forcés sont punis par la loi, et la polygamie est un choix...

Qui sont les femmes camerounaises et où en sont-elles aujourd’hui ? Une population de femmes en majorité « analphabètes », certes mais des femmes laborieuses, des femmes intellectuelles et des femmes professionnelles qui entendent  prendre la relève d’un pouvoir mâle à bout de souffle...

Des femmes d’origine étrangère, anciennes militantes féministes qui n’acceptent pas que l’ordre néocolonialiste leur interdise de continuer leur militantisme en Afrique sous prétexte qu’en leur qualité de coopérant (e)s  ou de « femmes de coopérants », elles n’ont pas à se mêler de la politique dans un pays africain.

Des jeunes femmes camerounaises, nos enfants qui, ayant peut-être  inscrit quelque part dans leurs chromosomes, cette tradition millénaire de rébellion, refusent ce discours social aliénant. Votre dernière sortie a particulièrement choqué la Nation entière ! Nous  attendions un discours d’apaisement. Vous n’avez parlé que de votre loi sur le terrorisme, de votre guerre contre une nébuleuse... Vous êtes apparu comme  le terroriste  en chef : nous refusons aujourd’hui  ce genre de discours.

 

 

La Patrie en danger !  

C’est pour cela que nous, membres du Mouvement des femmes au Cameroun (à travers nos centaines de milliers d’associations), nous vous adressons cette lettre ouverte pour vous rappeler juste trois vérités :                                                                                                                                                                       

1°- il est établi que les deux sexes sont égaux dans tous les domaines significatifs et que cette égalité doit être enfin reconnue publiquement : votre Etat a ratifié la Convention des Nations-Unies à cet effet en 1994 et vous venez de violer cette CEDF* (4).

2°-Que le combat personnel équivaut au combat politique, c'est-à-dire « que l’échelle de valeurs d’une société est identique dans les domaines privé et public »*(5) et qu’il n’est donc pas normal que le sexe masculin exerce seul, le contrôle de la vie publique comme de la vie privée en dépit du mythe du partage des pouvoirs : d’ailleurs, vous avez  confisqué tous les Pouvoirs dans notre pays !

3°-Que ce sont les femmes, nous, la majorité des citoyens de ce pays qui ont fait de vous « président de la République » en vous déléguant une partie de notre Souveraineté populaire, vous faisant confiance que vous allez renégocier cette Souveraineté nationale en institutionnalisant un Etat de droit, afin de nous sortir définitivement de nos tribus pour vous soutenir dans votre projet de Construction économique du Cameroun. Monsieur le Président, nous sommes au regret de vous dire que vous nous avez trompées,  au propre et au figuré...Vous nous avez trahies avec des promesses, des engagements non-tenus depuis 32 ans ! Vous avez trahi votre Peuple...

Vous n’allez pas maintenant contribuer à nous assassiner, nous et nos enfants que nous mettons au monde en donnant nos corps et en sacrifiant nos vies pour les élever si difficilement !

C’est pour cela que l’objectif fondamental de cette lettre ouverte n’était pas seulement de vous demander de ne pas promulguer cette loi sur le terrorisme et maintenant de l’abroger  mais d’amener les femmes camerounaises à s’organiser en vue d’un changement radical de notre société.

C’est pourquoi, les milliers, peut-être même les millions de femmes camerounaises, vos mères, épouses, sœurs et...vos filles qui vont signer cette lettre, conscientes de la nature politique de notre détresse, refusent « votre loi » dont l’objectif véritable est de tuer l’âme immortelle du Peuple Camerounais.

Parole de femmes !

 a signé : Marie louise Eteki-Otabela ;

 

 

1-Mme Eteki-Otabela Marie Louise, PH.D. Science Politique, Prix d’Excellence Pearson, 1989-90 

    Mme Henriette Ekwe, Journaliste, Prix du courage féminin, Washington 8 mars 2011

    Me Alice Nkom, Première femme avocate au Barreau du Cameroun, Prix Défense des D.H aux

           USA 2012, et Prix Amnesty International à Berlin 2014

2-Dans « Femmes du Cameroun, mères pacifiques, femmes rebelles » sous la dir. De J.C. Barbier, Orstom-Kathala, 1985       

3- Cf. L’analyse politique de cette loi par Marie Louise Eteki-Otabela dans Le Messager du 22 déc. 2014, p.8

4-Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’ égard des femmes dont le protocole additionnel n’a été ratifié  qu’en 2005 !

5-Dans Marilyn French : La Fascination du pouvoir, Fagar, Paris, 1987     

(*) Cette Lettre est inspirée  du Manifeste des Féministes du Cameroun, Publié par l Institut Canadien de Recherche sur les femmes : ICREF-Ottawa, déc. 1994.

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