Le conflit de Côte d'Ivoire est entre le peuple Ivoirien et la com..
Communauté dite Internationale.
Joubert Nouafo. Ça aurait pu être
son enfant tuée dans la « guérilla » qui a cours à Abidjan. Le Camerounais, consultant financier installé en Côte d’Ivoire depuis six ans, a ramené sa famille au
pays.
Dans quelles circonstances avez-vous quitté la Côte d’Ivoire pour le Cameroun ?
Je suis parti de ce pays, pas
définitivement je veux bien le croire, tout simplement parce que la situation connaît un pourrissement et une détérioration très grave à tel enseigne qu’aujourd’hui, on peut constater que la
ville d’Abidjan se vide de ses habitants. Une guérilla urbaine a pris effectivement la place. Une guerre est ouverte, mais la guérilla n’a pas de visage. Il s’est incrusté dans Abidjan des gens
qu’on appelle des commandos invisibles.
Ce sont des forces rebelles liées à Alassane Ouattara. Ces forces ont créé un climat de violence inouïe à Abidjan, en commençant par le quartier Abobo, le fief traditionnel de Ouattara. Cette violence s’est ensuite répandue dans la plupart des quartiers. J’ai décidé de ramener les enfants au Cameroun pour les éloigner des violences. Ils sont trois et n’ont que 16, 8 et 5 ans. L’autre jour, un camarade de ma fille qui sortait du collège a reçu une balle en plein midi, tirée par des rebelles. Cet enfant, mort sur le champ, n’avait rien à voir dans cette histoire.
Dans une ambiance où les balles perdues font mouche à tout moment, contre n’importe qui, c’était mieux de ramener les enfants, le temps de voir si la situation va s’améliorer. Le plus urgent c’est les scolariser au Cameroun.
Que faisiez-vous en Côte d’Ivoire ?
Je suis arrivé en Côte d’Ivoire en octobre 2004 comme directeur général adjoint de la banque Omnifinance. Plus tard, je me suis installé à mon propre compte en tant que consultant financier sur
la place d’Abidjan. J’ai une conception des affaires appuyée sur le dynamisme et l’ouverture d’esprit. En d’autres termes, le cabinet que j’ai en Côte d’Ivoire, je peux le créer également ici,
ensuite faire une jonction des deux entreprises.
Avez-vous constaté des victimes camerounaises depuis le déclenchement de la
crise ?
Aucune à mon niveau. J’ai posé la question à l’ambassade du Cameroun qui n’a rien signalé également. J’ai de bonnes relations là-bas. Mais rien n’est sûr car, il y a une technique qui consiste à
vous liquider et à vous déposséder de vos pièces d’identité. Seul un proche peut signaler votre disparition.
Y a-t-il un exode de Camerounais qui retournent au pays
natal ?
Il n’y a aucune disposition prise pour évacuer les Camerounais de Côte d’Ivoire. Je suis rentré de moi-même, comme la trentaine des compatriotes avec qui j’ai pris l’avion. Ce sont
essentiellement des étudiants qui reviennent sur ordre de leurs parents. On peut donc parler d’un exode temporaire.
Face à l’exode massif de la population, quel rôle joue les organismes
internationaux comme le Hcr et la Croix-Rouge, sans compter les pouvoirs publics ?
Je suis déçu par ce qu’on appelle la Communauté internationale. Le Haut commissariat des réfugiés, qui d’ailleurs est à côté de chez moi, a joué un rôle passif. Récemment, toutes les personnes
qui se réclamaient du Libéria sont venues élire domicile devant le Hcr et réclamaient une prise en charge. Elles ont dormi dans la rue pendant près d’un mois. Le Hcr leur a demandé de partir. Je
ne sais finalement pas ce que ces gens sont devenus. Dernièrement, le Hcr est parti dans un village pour dire aux habitants d’accueillir les réfugiés. Les villageois ont refusé parce que,
disent-ils, les problèmes créés ailleurs ne doivent pas être ramenés chez eux.
Comment se manifeste la violence dont vous parlez à
Abidjan ?
Les forces rebelles ont des armes lourdes. Elles attaquent la population, liquident les gens soupçonnés d’être des pros Gbagbo. Des personnes sont égorgées et brulées vif. On l’a vu à Abobo lors
de l’attaque du centre émetteur de la Rti. Les victimes sont braisées comme on l’a vue à Akouté. C’est un terrorisme urbain. Je crois que l’armée régulière était très peu préparée à affronter ce
terrorisme urbain. Elle n’est pas habituée à ce type de combat. L’armée a donc des difficultés à s’imposer. Premièrement parce qu’elle conçoit les choses selon une certaine règle : ne pas
tuer pour tuer. L’armée défend les institutions suivant les règles conventionnelles. Elle ne peut pas attenter aux droits de l’Homme. Or la guérilla urbaine est incrustée dans une population qui
lui est favorable notamment dans le quartier Abobo où les habitants sont essentiellement originaires du nord comme M. Ouattara. Les rebelles sont donc chez eux. Et c’est pernicieux car, si on les
attaque on parlera de crimes contre l’humanité. Et l’armée ne veut pas tomber dans ce piège.
Vous incriminez uniquement le camp Ouattara, n’y a-t-il pas d’exactions
perpétrées par les pros Gbagbo ?
Vous affirmez qu’il y a des exactions attribuées au camp Gbagbo. Or, si vous allez sur le terrain, vous verrez que les gens qui défendent Gbagbo, les patriotes comme ils s’appellent, des jeunes
essentiellement, ne sont pas armés. Ils disent d’ailleurs : « nous avons les mains nues ». En général, ils protègent. Constatant qu’il y avait déjà trop d’exactions, ils ont fait
l’auto-défense comme c’est le cas dans les quartiers au Cameroun. Des barrages sont érigés et on fouille les véhicules pour s’assurer que ceux-ci ne transportent pas des armes par exemple. Le
camp Gbagbo, tout au moins dans Abidjan où je vis, ne peut pas être accusé d’exactions. L’Onu ou Onuci lui attribue des crimes en parlant des charniers. Mais jusqu’aujourd’hui, aucun charnier n’a
été mis en évidence.
Qu’en est-il des milices de Laurent Gbagbo ?
Nous parlons d’Abidjan. Les milices sont à l’Ouest du pays, parce que cette partie était la plus convoitée par la rébellion menée par Guillaume Soro qui voulait prendre les villes en remontant le
pays. L’objectif premier étant de prendre le port de San Pedro. Les rebelles ont toujours voulu se doter d’un territoire autonome avec un port dans le cas où il faudrait couper la Côte d’Ivoire
en deux. Les miliciens se sont donc constitués à l’Ouest pour venir en appui aux forces de défense et de sécurité. Les miliciens ont été armés, c’est vrai, parce que les Forces nouvelles étaient
surarmées par le Burkina Faso essentiellement et, bien sûr, par Alassane Ouattara.
Comment faites vous pour avoir une telle connaissance de la situation sur le
terrain qui présente un danger certain ?
Je vis à Codody, un quartier résidentiel qu’on dit relativement calme. La rébellion ne peut pas s’incruster dans ce type de quartier car chacun vit dans son domicile clôturé. Abobo jouxte Les
deux plateaux, mais pour l’instant, les rebelles ne sont pas encore arrivés aux Deux plateaux. Ils vont là où il y a une population assez pauvre et vivant dans la promiscuité. En ce qui concerne
ma connaissance du terrain, ce n’est pas difficile car l’information circule très vite dans l’espace et dans le temps. Je suis en contact et je travaille avec des gens qui habitent les quartiers
difficiles comme Abobo. Ce sont ces personnes qui sont les premiers véhicules de l’information. Le matin, ils racontent toujours les attaques et d’autres évènements de la nuit. Les journaux de
Côte d’Ivoire sont très informés malgré les difficultés à circuler. Les journalistes prennent des risques. Je m’expose beaucoup aux médias et j’essaie d’équilibrer. Je connais les organes de
presse pros Gbagbo et ceux pros Ouattara.
Depuis le début de la crise postélectorale, la Rti contribue-t-elle vraiment à
manipuler l’opinion ivoirienne en faveur de Laurent Gbagbo ?
C’est vrai que les gens suivent la Rti de plus en plus. Ils veulent comprendre tout simplement ce qui se passe. Les médias étrangers reçues par satellite, occidentaux surtout, ont tiré à boulet
rouge sur Gbagbo dès le début de la crise. La popularité de cet homme ne vient pas de la Rti. Si tel était le cas, cela voudrait dire que la grande partie de la population ivoirienne vit à
Abidjan. Ceux qui vivent dans les brousses ne reçoivent pas les médias. Gbagbo a forgé lui-même une popularité politique. J’ai passé six ans en Côte d’Ivoire. En tant qu’étranger, j’ai été frappé
par un leader qui va au contact de la population dans l’arrière pays, village après village. Ce qui n’est pas le cas d’Alassane Ouattara. Charles Blé Goudé, le général de la rue, disait encore
que « M. Gbagbo ne nous a pas enseigné à tuer. Il nous a enseigné à gagner la rue ».
Comment est accueillie la Tci, la chaîne de télévision créée par Alassane
Ouattara ?
Je n’ai jamais regardé cette chaîne de télévision. Elle émet certainement sur un canal qui n’est le mien. Je suis branché au bouquet Canal Sat qui est dans une situation presque de monopole sur
le marché ivoirien. Or Canal Sat ne diffuse pas la Tci qui est peut-être captée par d’autres voies. En tout cas, cette chaîne de télé est très marginale contrairement à la Rti qui est sur le
bouquet Canal Sat.
Quelle expérience avez-vous de la vie quotidienne à l’hôtel du
golfe ?
Dans le sens le plus simple du mot, la vie du golfe est une vie de prisonnier, mais de luxe. C’est un bel hôtel où il y a au moins 300 éléments des Forces nouvelles installés. Il y a aussi toutes
les autres parties qui sont avec Alassane Ouattara. J’en suis amusé car, il n’y a pas longtemps, les jeunes ont dit qu’ils allaient attaquer l’hôtel pour déloger les occupants. Alors, il y a eu
des voitures convoyées pas l’Onuci qui protège le golfe. Ces véhicules ont été pris en otage. Les jeunes y ont découvert tout ce qu’il y a pour une alimentation de luxe, en partance pour l’hôtel
du golfe. Toute la cargaison a été récupérée par les jeunes.
Quelle est le rapport de force entre les forces en
présence ?
Il y a les Forces nouvelles de Soro Guillaume allié à Alassane Ouattara. Je suis arrivé à la conclusion qu’elles se sont embourgeoisées. Elles ont profité de la rébellion pour amasser des biens.
Mais les éléments sont moins combatifs aujourd’hui car ils ne trouvent plus l’intérêt d’aller tirer des coups de feu. En plus, on leur a promis qu’ils seront des généraux. Gbagbo a avec lui
l’armée régulière, c’est-à-dire les forces de défense et de sécurité. Elles sont presque dans la même situation que les Forces nouvelles. Sauf que si on parle d’embourgeoisement, seul le sommet
de l’armée est touché comme c’est le cas dans tous les pays. Ce ne sont pas les généraux qui tirent les coups de feu. L’armée de Gbagbo est scindée en trois groupes à peu près. Premièrement
l’armée de combat c’est-à-dire la garde républicaine composée des fidèles parmi les fidèles. C’est un gros morceau à croquer en cas d’attaque. Deuxièmement, il y a la gendarmerie qui dispose de
moyens d’assaut. Enfin, il y a le Centre de commandement pour la sécurité (Cecos) qui est comme le Bir au Cameroun. Le Cecos est une force d’élite active sur le terrain. A côté de ces trois
branches, il y a des forces presqu’annexées à la police. On dit que Gbagbo a divisé l’armée pour que les généraux se neutralisent mutuellement. Maintenant, il y a l’Onuci qui n’est plus neutre
dans l’esprit de Laurent Gbagbo. Cette force tire sur la population. Gbagbo a déjà demandé le départ de l’Onuci de la Côte d’Ivoire. Certes elle est encore en place, mais il sait que c’est une
force belligérante. Il l’a déjà située politiquement.
Comment sont perçus aujourd’hui des personnages comme Guillaume Soro et Blé
Goudé ?
D’abord Soro. Il faudrait avoir été dans le nord, son fief traditionnel. Mais, ce fief n’est pas monolithique. Soro Guillaume est passé du statut de rebelle à celui de Premier ministre. Alors, on
a cru que ce gars pouvait un jour avoir l’étoffe d’un chef d’Etat. Moi-même, je me suis dit que voilà qu’il peut faire la transition. De surcroît, il avait négocié les accords politiques de
Ouagadougou. C’est lui qui avait saisi la main tendue par Gbagbo. Ce n’est pas Alassane Ouattara avec qui ce jeune homme était d’ailleurs en froid. Que les deux se soient alliés ensuite, on
comprend que le chien n’a qu’une seule façon de s’asseoir et on ne peut jamais la changer. Soro dit qu’en tant que Premier ministre, il a vu que la situation était perdue. Il a demandé à Gbagbo
de céder le pouvoir, mais s’est aperçu contre toute attente que le président veut confisquer le pouvoir. Il ajoute que ce n’était pas sa vision. Voilà pourquoi, explique-t-il, sa démission a été
remise plutôt à Alassane Ouattara. C’est la mort politique consommée pour Soro Guillaume.
Charles Blé Goudé fait partie des personnes qui ont le don de mobiliser des foules. Il est un acteur exceptionnel. Après les accords de Marcoussis, Gbagbo qui devait rentrer en Côte d’Ivoire a
fait monter un scénario par ce Blé Goudé qui pousse les gens dans la rue. C’est ainsi que Gbagbo a dit qu’il rentrait au pays voir ce qui se passait, conscient qu’il pouvait être tué à
Marcoussis. Deuxième chose, Gbagbo est en Italie en 2002 lorsqu’un coup d’Etat est fomenté dans son dos. Blé Goudé descend une nouvelle fois dans la rue avec ses troupes. Le président retourne au
pays malgré les avis contraires. En 2004, la France, décidée d’en finir avec Gbagbo, lâche ses troupes avec l’ordre de débarquer le président mort ou vif. Les chars et les hélicoptères se mettent
en route. Il a suffi que Blé Goudé passe à la télé demander de défendre la patrie en danger. Ses gars sont descendus dans la rue les mains nues et ont fait barrage aux chars.
Comment les citoyens ivoiriens ressentent-ils les mesures d’austérité prises
par la Communauté internationale et les institutions financières?
Les effets sont terriblement ressentis. Imaginez-vous que vous avez votre compte dans une banque qui ferme un beau matin sans prévenir. Plusieurs personnes épargnent et prennent chaque semaine un
peu d’argent pour vivre. Il n’y a personne à qui emprunter pour manger. Aucun médicament n’entre en Côte d’Ivoire à la suite de l’embargo décrété par l’Union économique et monétaire de l’Afrique
de l’Ouest (Uemoa). C’est un crime contre l’humanité. Les malades n’ont rien à voir avec les problèmes politiques. Ils sont d’ailleurs incapables d’aller déloger Gbagbo.
Avez-vous eu l’impression que le durcissement des conditions de vie des Ivoiriens puisse les retourner contre Gbagbo ?
Curieusement, les mesures d’austérité et les sanctions de la Communauté internationale redynamisent nombre d’Ivoiriens qui disent qu’un cabri mort n’a plus peur du couteau. Et ils sont repartis
pour un combat. Ils se disent prêts à manger même les herbes pour avoir leur souveraineté.
L’actualité au Cameroun a été animée récemment par la découverte de containers
d’armes estampillés Onuci en partance pour la Côte d’Ivoire. Comme la nouvelle a été reçue dans ce pays ?
C’était une onde de choc. L’information a été relayée par des journaux ivoiriens, notamment Fraternité Matin. Cette histoire arrive au moment où on pressent la guerre. Et on découvre que les
armes étaient destinées à San Pedro où se trouve le port tant convoité par la rébellion. Elle avait déjà parié qu’avant l’arrivée des containers, San Pedro serait pris par les Forces nouvelles.
Effectivement à l’Ouest de la Côte d’Ivoire, il y a eu des affrontements avec l’armée régulière. Selon le camp Gbagbo, ce n’est pas la première fois que l’Onuci arme les rebelles. En plus, ces
containers venaient du Tchad. Or le président Idriss Deby est membre du panel des chefs d’Etat délégués par l’Union africaine pour régler le problème ivoirien. Il y a donc une duplicité du
président tchadien.
La crise ivoirienne est-elle aujourd’hui dans
l’impasse ?
Il faut être dans le pays pour se rendre compte de toute la complexité de la situation. Il y a d’un côté un président adoubé par la Communauté internationale, qui se croit permis de tout faire.
De l’autre côté, vous avez un président élu constitutionnellement, soutenu par une population qui crie la constitution ou rien. Le conflit n’est plus entre Gbagbo et Ouattara, mais entre la
Communauté internationale et le peuple ivoirien jaloux de sa souveraineté. Si Gbagbo dit qu’il s’en va aujourd’hui, la population lui demandera des comptes. Il ne faut pas réduire le problème au
départ de Gbagbo. Au cours d’une visite en France, le président élu de la Guinée, Alpha Condé, a répété au président Sarkozy que faire apparaître Alassane Ouattara comme l’homme de la Communauté
internationale ne l’aide pas. L’impasse vient du fait que trop d’acteurs se mêlent à la crise. Il faut laisser les Ivoiriens résoudre leur problème. S’ils s’asseyent et discutent, une solution
viable sera trouvée certainement. Même le panel des chefs d’Etat africains n’a pas sa place. N’oubliez pas que les accords de Ouagadougou c’est la main de Gbagbo tendue à Soro Guillaume à
l’époque chef de la rébellion. Tous deux se sont entendus pour aller aux élections. Mais c’était sans compter avec la Communauté internationale qui avait d’autres idées.
Propos recueillis par
Assongmo Necdem et Théodore Tchopa