COMMENT ON SOUTIENT ENOH MEYOMESSE ? ou la tyrannie de Biya est la plus secrète de toute l’Afrique.
COMMENT ON SOUTIENT ENOH MEYOMESSE ? ou la tyrannie de Biya est la plus secrète de toute l’Afrique.
On défait une culture du secret avec une culture publique. Cette lapalissade qui est au commencement de l’espace public dont l’explosion véritable aura été la révolution française, est pourtant
difficilement réalisable quand on y pense en amont. Car comment pratiquer la culture publique dans une tyrannie aussi vieille que la camerounaise ? Cinquante ans que ce...la dure dans notre pays
! Depuis 1956 plus concrètement ! Et pourtant quand on y pense, les soulèvements qui débouchèrent sur la révolution française avaient à renverser plus de trois cent ans de tyrannie héréditaire,
et ils l’ont fait, ces petits français qui aujourd’hui nous tyrannisent à travers leur homme de paille ! S’il est établi en effet depuis belle lurette que c’est Biya qui tire toutes les ficelles
de l’injustice qui torpille notre pays, c’est bien une autre lapalissade de dire que l’incarcération d’Enoh Meyomesse a tout à avoir avec lui. L’écrivain n’a-t-il d’ailleurs pas été accusé
d’avoir essayé d’organiser un coup d’Etat ? Ah, pourquoi le colonel Galibou qui l’a torturé pendant trente jours dans une cellule infecte de Bertoua aurait-il donc voulu lui soutirer des aveux,
sinon pour découvrir aux yeux du tyran la possibilité de son règne interrompu ? Il y a certes le ministre délégué à la défense, Mebe Ngo’o, dont la sottise dans cette affaire est aussi avérée que
la brutalité de ses gendarmes, mais tout commence bien au palais d’Etouti !
Or nous le savons tous : la tyrannie de Biya est la plus secrète de toute l’Afrique ! Entre séjours à Mvomeka’a, séclusion à Etoudi, séjours dans un hôtel à Genève (ou ailleurs, qui sait ?), une
administration transformée en suppôt de l’assassinat, et toute sa batterie d’espions qui sapent le travail public quand ce n’est pas la police qui l’interdit, il est tout simplement impossible de
bâtir une coalition politique au Cameroun, tout comme de réunir un groupe de travail d’opposition dans la longue durée. Multiples sont les armes de la division, que ce soit le tribalisme,
l’argent, les femmes, les hommes, une phrase, une idée, tout est là comme possibilité pour anéantir l’effort de travail en commun – et nous Camerounais sommes devenus les virtuoses de ce tout
négatif. Et la peur, la peur, cette gangrène ! Voyez : il aura été impossible d’ouvrir un compte pour le Comité de Libération d’Enoh à Yaoundé, toutes les banques ayant refusé – malgré une
procuration signée par l’écrivain en prison devant avocat et régisseur ! Or voilà, l’incarcération d’Enoh Meyomesse aura, il me semble, aussi réveillé quelque chose d’unique, de singulier dans le
squelette de chaque Camerounais – la certitude que son sort pouvait être celui de chacun de nous. Les premières remarques à la nouvelle de son arrestation étaient unanimes de ce point de vue :
incroyable était son incarcération parce que justement il était et est chacun de nous, je me rends compte de plus en plus. Pourquoi va-t-on l’arrêter ? Cette certitude de son innocence aurait
cependant été définitivement détruite si dès le départ il avait été laissé quartier libre aux hommes de main du tyran, d’imposer leur vérité à eux : de faire d’Enoh le putschiste qu’ils
voulaient. Seulement ils ont été pris de court, attrapés qu’ils ont été en pleine séance de torture le 19 novembre 2011 dans les cellules de la gendarmerie de Bertoua, ils n’ont pu que trop
rapidement monter une scène cocasse présentant l’écrivain et ses amis comme des braqueurs et des trafiquants d’or, histoire à laquelle personne n’a cru parce que mal ficelée, et qui depuis
s’effondre dans la boue dans laquelle elle était née.
Que ce soit un journaliste qui ait confondu les tortionnaires d’Enoh dans leur cellule de l’ombre est épique, et sans doute présente le journalisme camerounais dans ses meilleurs moments, celui
de la lumière qui détruit l’obscurité, de la publicité qui défait le secret. La campagne pour la libération d’Enoh Meyomesse, je l’ai montée dans cet esprit-là au moment où du Cameroun m’est
parvenu la certitude de l’arrestation de l’écrivain. Il fallait d’abord réunir les bonnes volontés qui dès le départ s’étaient signalées, par le net, et d’une certaine façon à travers elles
établir la sécurité d’Enoh au pays. L’espace public politique chez nous, même si asphyxiée par le tyran, est porté à côté de journalistes, par les personnages politiques : les personnages publics
donc. Etablir la rotation de leur visite en prison a été facilement acquis, au moment même où se mettait en place la plateforme qui rendrait ces visites-là systématiques : Kah Walla d’abord,
parce Bergeline Domou qu’Enoh avait contactée déjà plusieurs fois au cœur de sa galère à Bertoua est de l’équipe du CPP, et parce qu’une certaine familiarité créée depuis l’élection
présidentielle me liait au travail de la politicienne. Ekane Anicet parce qu’Enoh après tout avait été son directeur de campagne lors de la présidentielle, justement. Mais aussi Célestin Bedzigui
qui bien qu’ayant répondu à la première alerte, écrira un texte sur Enoh plus tard, bien plus tard, sans parler de Vincent-Sosthène Fouda qui en chemin pour le Cameroun en premier écrira tout de
même sur ma demande un texte pour Enoh.
Que dire des pétitions signées par des Camerounais comme Eugène Ebodé, mais aussi des Malgaches, des Français, des Togolais et bien d’autres ? Pourtant la publicité ne peut pas n’être que
l’exposition de l’incarcération de l’écrivain : il s’agit aussi de rendre visible à ceux qui ne sont pas avec lui, et donc au monde, les conditions même de son quotidien carcéral. Car c’est cela
qui permet à chacun de juger de sa situation, de son évolution, et même de sa condition – leçon bien française que m’aura donné le GIP, le fameux Groupe d’Information sur les Prisons de Michel
Foucault. La constitution à travers la terre de nombreux comités de soutien, l’établissement de pages Facebook ou alors de blogs consacrés à Enoh aura multiplié l’espace d’information sur son
cas, mais encore fallait-il que ce cas là soit décrit dans les détails. Et ici la constitution à Yaoundé d’un Comité pour la Libération d’Enoh (CLE), sera le moment le plus important de cette
entreprise multiforme. Réunissant neuf personnes dans la Librairie des peuples noirs de Yaoundé, sous le patronage de Mongo Beti donc, il aura mis ensemble journalistes, avocats, activistes,
écrivains, de plusieurs bords politiques, d’ethnies diverses, femmes et hommes, d’âges différents, bref, la crème de la crème de l’intelligence camerounaise pour rendre compte à tout le monde et
partout, de la condition de l’écrivain en prison.
Ce qui unit ce monde divers autour d’Enoh même s’il ne voit que quelques uns une fois par semaine en fin de compte, c’est une plateforme nommée ENOH ! qui fonctionne sur le mode d’un listing,
avec donc un administrateur que je suis. Tous les membres de la plateforme, donc à peu près 70 personnes, reçoivent toutes les informations que je reçois : tous les livres d’Enoh, tous les
comptes rendus de visites hebdomadaires en prison du CLE, toutes les missives d’Enoh lui-même, et ainsi ont chacun un dossier suffisamment consistant pour de leur propre initiative frapper à
quelque porte que ce soit – il en a été ainsi lors de la visite à l’Union européenne qui était déjà en chantier depuis quelque temps, avant d’être réalisée dans la fougue de la campagne autour de
Vanessa Tchatchou, par le quatuor Marcel Tchangue, Hughes Seumo, Vincent-Sosthène Fouda et Hubert Lucarne, tous membres de la plateforme ENOH ! Il en est également de la lettre de soutien du
British Foreign Office obtenue de sa propre initiative par Joseph Kamga en Angleterre, ou alors de l’appui de la représentante Anny Poursinoff des Verts de France, obtenue par le Comité
Libérezenoh de Paris. Or nous savons que ces efforts auraient été vains si dans sa prison, Enoh Meyomesse était vidé de sa dignité parce que laissé affamé. Voilà pourquoi la plateforme ENOH !
aura pris l’écrivain en charge par des rations hebdomadaires fournies grâce à une levée de fonds qui jusqu’ici à très bien fonctionné auprès de la communauté camerounaise, l’Association des
Anciens Etudiants de l’Université de Douala ayant ici la palme d’or de la générosité. ‘Merci de la peine que vous prenez pour notre ami Enoh et en tant que membre de la société civile’, nous a
écrit un membre d’ENOH ! d’Ebolowa, ‘tôt ou tard, nous, Camerounais de ce pays et de l'étranger et autres partenaires de bonne volonté, parviendrons à des victoires de la bonne Gouvernance et au
respect plus grand respect des droits de l'homme dans notre pays aussi !’ Mais Enoh lui aussi nous a écrit de Kondengui : ‘Je viens de découvrir ce document de moi que tu as bien voulu publier’,
nous dit-il, ‘j'en suis EXTREMEMENT EMU, et de dispose pas de mots suffisamment forts pour te remercier. Le combat continue. Amitiés.’ Chacun de nous y contribue. Chacun de nous peut y
contribuer.
Source : njanguipress