A 80 ans sonné, Paul Biya a t-il tiré les leçons de la situation qui avait failli mettre le Cameroun à feu et à sang.
A 80 ans sonné, Paul Biya a t-il tiré les leçons de la situation qui avait failli mettre le Cameroun à feu et à sang.
L’Afrique, selon le président Barack Obama en visite officielle au Ghana, n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes,
c’est-à-dire d’institutions solides qui résistent à l’épreuve du temps et transcendent les individus. Ce sont ces institutions qui facilitent les alternances à la tête des États démocratiques en
Occident, dans certains pays d’Amérique du sud et dans quelques rares pays d’Afrique. Lorsque les institutions sont solides, et le rôle des forces de défense et de sécurité bien défini, le pays
peut même fonctionner sans chef de l’État. C’est ce qui s’est passé récemment en Belgique où le pays a fonctionné pendant des mois sans président de la République.
Dans la plupart des pays d’Afrique où tous les ingrédients d’une conflagration sont réunis (confiscation du pouvoir politique par un groupe, ethnicisme, népotisme, corruption généralisée,
etc.), une pareille situation parait inimaginable. S’il arrivait qu’il y ait vacance au sommet de l’État, il est presque certain que les citoyens assisteront à une lutte sans merci pour la
conquête du pouvoir suprême, le problème dans ces pays étant que les institutions sont taillées à la mesure
du leader central considéré, dans la plupart des cas, comme étant le représentant de Dieu sur terre.
En 2004, après l’annonce de la vraie-fausse mort du président de la République, Paul Biya, des personnalités, dont la plupart étaient des ressortissants de sa région d’origine, s’étaient réunies
afin de trouver les stratégies pour éviter, à tout prix et à tous les prix, que le président de l’Assemblée nationale n’assure l’intérim, conformément à la Constitution de 1972 qui fait de la
seconde personnalité de la République l’intérimaire du chef de l’État en cas de vacance du pouvoir.
A 80 ans sonné, Paul Biya semble ne pas avoir tiré les leçons de cette situation qui avait failli mettre le Cameroun à feu et à sang.
Depuis la promulgation de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, il n’a pas toujours mis en place des institutions prévues par ce texte fondamental, dont notamment la Cour constitutionnelle
et le Senat. La mise en place de cette dernière institution aurait permis de régler une fois pour toutes la question de la succession au cas où, en fonction, il passait de vie à trépas.
Des Camerounais, qui ont de bonnes raisons de se plaindre de sa gouvernance catastrophique depuis 30 ans, estiment qu’après avoir hypothéqué durablement l’avenir du pays, son rêve est de laisser
un pays ingouvernable.
Ce dossier suscitera à coup sûr l’ire des thuriféraires de Paul Biya, surtout en ce qui concerne les aspects polémiques. Mais, en la forme, dans ce registre polémique, qui est le maître de qui ?
Qui a traité les Camerounais de « ténors de la péroraison creuse » ? Qui les a qualifiés de « bonimenteurs du chaos », d’ «apprentis sorciers», de « myopes
politiques » et d’ « amnésiques » ? N’est-ce pas Paul Biya ?
Au fond, ne met-on pas le pays en danger quand :
- on détruit les acquis démocratiques issus de la Tripartite au profit du pouvoir perpétuel ;
- les institutions républicaines sont chancelantes ;
- le pays vit, en permanence, dans une incertitude juridique et normatif avérée ;
- 30 ans après on n’a pu tenir un conseil supérieur de l’Enseignement supérieur ;
- 17 ans après les états généraux de l’Éducation et 14 ans après avoir promulgué la loi d’orientation de l’Éducation au Cameroun, on n’a pu engager la réforme de l’enseignement secondaire ;
- À ce jour rien n’est fait pour clarifier la succession à la tête de l’État par la mise en place de la Cour constitutionnelle et du Sénat
- etc. ?
(Presque) toutes ses créatures politiques à qui il a fait semblant de faire confiance ont été dévorées. Indubitablement sa gouvernance globalement catastrophique conduit le Cameroun vers une émergence piteusement chaotique.
Paul Biya et la stratégie du bord du gouffre
Touche pas à mon pouvoir ! Sinon le chaos, l’Apocalypse
Sous le sceau de la fourberie. Après une vingtaine d’années d’observation au quotidien Ahidjo s’était révélé incapable de se faire une idée claire du vrai caractère de son successeur désigné –
Par Aujoulat, et finalement par lui-même, persuadé que les intérêts néocoloniaux que les deux poulains du gaullisme incarnaient allaient être préservés dans un minimum de dignité, de respect pour
les intérêts supérieurs de l’Etat, du pays de Moumié et ses milliers de camarades martyrs. Il n’avait qu’à suivre dès 1961, l’avis pertinent de Eteki Mboumoua : « Inapte au commandement !!!
»
Un slogan, une devise au départ appât des âmes sensibles : « Rigueur et Moralisation ! » Et sur le terrain, cinq années de tolérance administrative pour la presse, qui s’engouffre dans
la brèche avec ardeur – même Cameroon Tribune , le poste national de radiodiffusion, et la jeune télévision naissante. Puis les beaux jours du Messager et consorts. Des intellectuels
accourent pour l’épauler contre son prédécesseur hanté par le souci d’un certain retour aux affaires ; ils rédigent ses premiers discours, son livre fétiche : Pour le Libéralisme
communautaire.
Au bout de cinq ans, il commence à les rouler dans la farine et leur préfère les militaires qui ont pu l’intimider sous le masque d’un simulacre de coup d’Etat discrètement sanglant. Puis, point
de retraite pour les généraux ; assez d’argent mobilisé pour combler tout le corps – sans oublier la police. Le reste du pays peut attendre, plus trente années durant : l’éducation, la santé,
l’emploi des jeunes, l’économie, la sécurité publique, …
L’art consommé de nager entre deux eaux, avant de retrouver son naturel de démolisseur en douce de tous les espoirs placés en lui : le pays profond attend la dissolution de l’UNC de triste
mémoire pour élever sur ses cendres une formation politique à même de sauver le pays des séquelles d’une colonisation féroce. Le prince se limite à un geste cosmétique, à rebaptiser en RDPC le
forum national de la mangeoire aujoulatiste, et prend de nouveaux appuis sur son arrière-garde ; en changeant carrément de direction pour un parcours en somnambules d’insouciants
gérontocrates qui forcément traînent la patte, en caméléons amnésiques depuis lors.
Trois décennies de mensonges et de fausses promesses. De cynisme ostentatoire ; de mépris hautain de la canaille et sa misère galopante. « Quand Yaoundé (Etoudi-Mvomeka'a) respire,
le Cameroun vit ! » « Et me voici donc à Douala !!! » « Je ne commente pas les commentaires ! »
Du stalinisme tropicalisé. Pour accuser et abattre l’ennemi politique au nom des crimes que l’accusateur en chef incarne le mieux depuis si longtemps ; sur la base desquels la Françafrique
recrute ses agents les plus sûrs. « Ce qui se ressemble, … » Tourmenter quelques corrompus sans rien tenter de sincèrement soutenu contre la corruption, parce qu’on en fait un mode
privilégié de gouvernement. L’institution de la Cour des comptes indéfiniment repoussée.
Trente années d’un laxisme caractériel décapant. « Un vacancier au pouvoir ! » A la tête du pays de Um Nyobe. En contremaître quelque peu apathique, somnambule, mais des plus fidèles aux
diktats des Réseaux foccartistes ; presque tout le temps en incessants « cours séjours privés » à l’Elysée pour recevoir les ordres les plus urgents de l’heure. Il y a longtemps que le
record d’Ahidjo de 120 visites à Paris en vingt-deux ans de pouvoir a été battu par son successeur ; qui n’en a plus le temps pour les sommets de l’Union Africaine, de l’Udeac, de la Cemac, pour
être à Yaoundé. Pour voir mourir le Cameroun.
À quoi se réduit au fond le pouvoir d’un potentat du gaullisme équatorial ? Il est « sans croûte ni mie », à en croire Aimé Césaire. Jusque de quoi tenir le bâton (clouté) pour apprendre à ses
sujets à vivre, à rester tranquille pendant que les multinationales pillent leur pays, à savoir jeûner, prier pour ne pas avoir trop faim ; à laisser leur avenir aux bons soins des sectes
apocalyptiques.
Que faire dans l’immédiat face à la catastrophe Biya ?
Le Cameroun est un point chaud majeur de la Françafrique. Il est cerné de bases militaires françaises. Son armée est la plus imposante la plus chouchoutée aussi du Pré-carré. Truffée – pour
l’éternité, paraît-il – de conseillers techniques français, la lisibilité de son destin national fait problème. L’esprit de corps, la fidélité à ses contrôleurs et équipementiers aux yeux bleus,
l’emportent par-dessus tout.
Le pays vis-à-vis camerounais en Afrique de l’Ouest, c’est la Côte-d’Ivoire. Nous devons considérer avec un intérêt toujours soutenu ce qui s’y passe depuis le tournant des années 1990. La
répression néocoloniale est transnationale. Toute stratégie pour la surmonter doit en tenir compte, sous peine de se voir frappée d’irréparable inefficacité. Tous les oppresseurs se donnent la
main par-dessus les frontières, pendant que leurs victimes se laissent enfermer dans de micro-nationalismes de pacotille, l’ethnisme, le corporatisme - tous aveugles.
Quelle tribu ne bave pas au Cameroun aujourd’hui ? Quel corps de métier prétendu fier de son sort peut se regarder dans le miroir de toute une jeunesse nationale aux abois, de génération en
génération, sans en frémir de Honte ?
Les chrétiens vont continuer à prier, sous le règne des plus mafieux des ex-séminaristes. Le Pape est venu nous bénir par trois fois en moins de trente ans. Je leur souhaite un peu plus
d’honnêteté, de courage et de lucidité dans leur prière quotidienne. Opus Dei ne chôme visiblement pas – avec sa très probable quinzaine de victimes saignantes, dans les rangs même du
Clergé, entre les trois saintes visites.
Notre devoir impérieux de l’heure : laisser notre pays, le Continent Noir moins dévastés que nous ne les avons reçus en partage du Destin. Nos enfants, leur progéniture à eux ne nous pardonneront
pas nos tout petits calculs éhontés d’aujourd’hui. Nous ne pouvons guère impulser le courage, la générosité dans l’effort, dans la prise de risque, la largeur de vue, sans en avoir assez
nous-mêmes.
C’est dire que nous ne pouvons par parvenir à libérer notre pays, nos peuples sans être au départ des hommes libres dans leur tête, dans leur cœur, aptes aux sacrifices qui sauvent. De
l’auto-détermination personnelle d’abord, comme pierre angulaire de choix de l’édifice social convivial qu’il nous faut bâtir.
Trouvons au plus vite quelque chose d’efficace contre la Démocratie de la fraude effrontée, préparée de longue main ; sinon de la canonnière, de l’ingérence au napalm planté de missiles. «
Car l’Occident a faim ! Et quand l’Occident a faim, l’Afrique doit mourir ! » (Calixte Beyala). Mieux vaut au moins choisir entre les offres de mort. De la faim ? De
désinformation-matraquage ? De guerres civiles ? Des pandémies tropicales ? De honte ? En prison ? ou en faisant résolument, unanimement et massivement face ?
Il nous faut brutalement briser le miroir du sauve qui peut, de l’individualisme à courte vue, de l’égoïsme de clans. Le meilleur salut est collectif ; que tout le monde, à tous les niveaux, y
contribue, et chacun de tout cœur, de toutes les forces à portée de main, de la réflexion stratégique qui urge.
Hilaire Sikounmo
Source :Germinal