Manière et méthode pour les autres jeunes Africains : Comment les jeunes Burkinabé ont mis en échec le coup d’état soutenu par la Franceafrique ?
Manière et méthode pour les autres jeunes Africains : Comment les jeunes Burkinabés ont mis en échec le coup d’état soutenu par la Franceafrique ?
Comment ce magnifique peuple du Burkina a mis en échec le coup d’Etat (2)
Après le peuple burkinabé, l’armée retrouve sa dignité
Difficile de savoir ce qui a emporté la décision chez les militaires. Ce qui est sur c’est qu’elle n’a pas été de soi. L’appel de Cheriff Sy, les manifestations d’opposition au coup d’Etat ont joué. Tous les officiers en poste ont été promus sous le régime de Compaoré. Mais le RSP était un régiment privilégié, avec des primes que les autres militaires n’avaient pas. En 2011, des mutineries ont éclaté dans pratiquement dans toutes les garnisons. Le RSP, fut même touché, une journée, alors que dans le reste du pays, les mutineries ont été beaucoup plus longues. Et ce sont les soldats du RSP qui ont mis fin à celle de Bobo Dioulasso la plus déterminée. Les jeunes burkinabé aimaient cette armée. Récemment, il était courant, sur la toile burkinabè de louer les soldats tchadiens qui affrontaient Boko Haram, l’opposant à l’armée burkinabè.
Lorsque la nouvelle d’une éventuelle venue de l’armée sur la capitale pour « sécuriser la population » est parvenue, les militants du Balai citoyen ont appelé à se masser aux abords de la ville pour les accueillir. La méfiance était plus grande du côté des syndicats et de la CCVC.
Le choix clair de l’armée aux côtés du peuple, son ultimatum aux putschistes ont changé la donne. Un accord a été signé, sous l’auspice de Moro Naaba, l’empereur des Mossis, entre militaires. Le RSP acceptait de rendre les armes, et le reste de l’armée s’engageait à ne pas les attaquer. Le soutien était moins unanime du côté de la société civile. Gilbert Diendéré n’a en effet arrêté. Le Chef d’Etat Major des armées s’en remettait au pouvoir civil pour le sort qui serait réservé au chef des putschistes. Sans doute une des clauses de l’accord. L’armée ne punit-elle pas elle-même, en d’autres circonstances, les indisciplinés ?
Malgré tout, l’armée a retrouvé sa dignité, en jouant un rôle déterminant pour mettre en échec le RSP. L’affront du RSP, ce régiment privilégié qui se comportait comme un groupe armé indépendant, a été lavé. C’est Gilbert Diendéré qui, cette fois, parait humilié. Le peuple du Burkina a pu donc se réconcilier avec son armée. Ce qui rend bien plus solide les autorités de la Transition auxquelles elle a fait allégeance.
La France du mauvais côté
Lors de notre dernier article (voir http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/210915/burkina-le-projet-de-sortie-de-crise-de-la-cedeao-reprend-les-revendications-des-putschistes) nous avons déjà cité cette déclaration particulièrement malvenue de François Hollande cité par l’AFP qui mettaient en garde ce qui voudraient s’opposer au « dialogue engagé par des chefs d'Etat africains ». Nous avions ajouté : « Difficile de penser qu’il n’ait pas été mis au courant de l’avancement des discussions, alors que l’ambassadeur de France paraissait très actif à l’hôtel Laïco, et que des fuites étaient diffusées dès la veille ». Une photo diffusée sur facebook, le montrait avec d’autres diplomates, tous serrés dans un ascenseur, après l’attaque de l’hôtel par des éléments pro-putschistes.
Si la médiation était confiée à la CEDEAO, que faisait-il dans l’hôtel où se déroulent les discussions ? Quel rôle a-t-il jouté pour l’adoption aussi d’un accord aussi désastreux (voir http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/210915/burkina-le-projet-de-sortie-de-crise-de-la-cedeao-reprend-les-revendications-des-putschistes )? Et lorsque Gilbert Diendéré a reconnu sa défaite, l’ambassadeur de France a cru bon de twiter pour informer, que le Président Michel Kafando, libéré, se trouvait à la résidence de France. Gilbert Diendéré l’aurait donc confié aux français ? Et si tel était le cas, fallait-il s’en vanter ? Faut-il y voir là un moyen de faire oublier la position de la France dans cette affaire ?
La France qui a déjà exfiltré Blaise Compaoré, a-t-elle voulu protéger Diendéré ? De nombreux articles de ce présent blog, rappellent les différentes raisons qui pousseraient la France à le protéger. Il a même été décoré de la légion d’honneur en 2008 ! La suite des évènements ne ridiculise-t-elle pas François Hollande, son ambassadeur au Burkina, et tous ces conseillers ? Quelle méconnaissance de la réalité du Burkina, et même de ce que seraient les réactions internatinales ! L’Union africaine a publié très rapidement des déclarations très dures contre les putschistes, se démarquant très nettement de la CEDEAO. Et la France s’est même trouvée isolée au sein de la CEE, « La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini », avait exhorté le 22 septembre « les membres de la garde présidentielle au Burkina Faso, qui ont mené un coup d'Etat contre le gouvernement de transition, à "déposer inconditionnellement leurs armes" » selon un communiqué de l’AFP du même jour.
Peut-on demander une amnistie pour des putschistes qui ont déjà à leur actif près d’une quarantaine de morts, si l’on inclut ceux de l’insurrection d’octobre ? Comment notre pays peut-il encore se permettre de faire des leçons de démocratie ?
Interrogé par un média burkinabè, le général Emmanuel Beth s’est cru, lui aussi, autorisé à donner son avis sur la situation (voir http://lavoixdufaso.net/le-general-beth-parle-de-la-crise-burkinabe-il-faut-maintenant-que-les-militaires-passent-la-main-une-interview-de-bruno-fanucchi/). Probablement très grassement payé, après sa reconvention dans le cabinet ESL & Network qui conseille les plus grosses sociétés du CAC40, il rejoint la horde nombreuse de ceux qui rejettent la responsabilité du coup d’Etat sur la Transition : « La situation actuelle au Burkina démontre une nouvelle fois qu’en politique on ne peut faire d’impasse sur l’essentiel : l’accès de tous (candidats et électeurs) aux élections qui tracent l’avenir du pays ». Il se garde bien, dans cette interview, de rappeler ses liens avec Gilbert Diendére lui avec qui il sautait en parachute lorsqu’il était ambassadeur au Burkina de 201à à 2013. Mais ce n’est pas tout. Voilà ce qu’il répond lorsque le journaliste lui demande si des poursuites devraient être engagées contre Blaise Compaoré : « Je fais partie des gens qui pensent que cela fait partie des règlements de comptes du passé et que c’est une absurdité ! Ce n’est pas comme cela que l’on reconstruira le Burkina demain. ». Et vive l’impunité, garante de la stabilité ! Voilà le genre d’individu que la France a choisi comme diplomate au Burkina pendant 3 ans! On comprend qu’elle se trompe sur ce qui s’y passe au Burkina. Sa priorité est-elle donc de protéger ses amis, Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré, plutôt que de lier des liens d’amitié à égalité avec le Burkina. Quant aux entreprises du CAC40, peut-être devraient-elles se méfier d’un tel spécialiste ! Il est vrai que business et satisfaction des besoins des populations n’ont jamais fait b bon ménage.
Au Burkina les masques sont tombés, la donne politique a changé
Les partis de l’ex majorité n’avaient de cesse de se plaindre de l’exclusion dont ils étaient victimes. On les empêchait de se présenter aux élections. Il s’agissait, selon eux, d’un déni de démocratie. Or, le 20 septembre, 13 partis de l’ex majorité ont signé une déclaration de soutien au putsch (voir http://www.fasozine.com/cnd-13-partis-en-soutien). Ils y affirment notamment « leur total soutien et leur entière solidarité au Conseil national pour la démocratie (CND le nom que s’étaient choisis les putschistes) qui a mis fin aux dérives anti démocratiques et sectaires du processus de la transition». Pour eux, l’insurrection était un « coup d’Etat ». On trouve parmi les signataires le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), la parti de Blaise Compaoré, l’UNDD d’Hermann Yaméogo, et la NAFA (Nouvelle alliance du Faso), créé après l’insurrection par le ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré, Djibril Bassolé. Hermann Yaméogo qui a même déclaré que Gilbert Diendéré était l’homme qu’il fallait pour diriger la Transition jusqu’aux élections (voir http://lepays.bf/concertations-avec-les-envoyes-speciaux-de-la-cedeao-le-recit-dune-si-longue-nuit-2/). Djibril assolé tentait de se faire une virginité politique en se distinguant du CDP. C’est râté ! Il va être bien difficile à ses partis déconsidérés et à leurs dirigeants de remonter la pente. Leur crédibilité est gravement mise à mal.
Du côté des opposants au putsch, peu se sont exprimés en dehors du communiqué cité plus hauts des partis de l’ex opposition. A notre connaissance, selon les informations qui nous sont parvenues, seul, le parti sankariste a continué à publier des communiqués appelant à la résistance. Mentionnons cependant cette déclaration de Roch Marc Christian Kaboré, le candidat du MPP (Mouvement du Peuple pour le Progrès) citée l’AFP, un des favoris au Présidentielles, reprise par Libération du 20 septembre). Il se disait surpris du projet d’accord, regrettant alors de ne pas avoir pu en discuter mais surtout n’étant pas « en mesure de dire s’il allait lever ou non le mot d’ordre de désobéissance civile ».
On peut supposer que la tête pensante du MPP, Salif Diallo, qui a travaillé pour le Président Mahamadou Issoufou du Niger, a, de son côté, influencé joué de ses liens avec lui pour qu’il se prononce fermement contre l’accord. Nous manquons cependant d’informations plus précises sur ce qu’ont été les attitudes des uns et des autres.
De son côté, le PCRV (parti communiste révolution voltaïque) semble cette fois ne pas s’être laissé déborder. Ce parti était passé à côté de l’insurrection des 30 et 31 octobre, la situation n’était pour eux pas mure, l’alternative ne leur semblant pas prête. Ils avaient appelé, avec de nombreuses organisations de la société civile, à manifester pour demander une transition civile, dénonçant un coup d’Etat et certains militants avaient même déployé à cette occasion une banderole appelant à une insurrection populaire armée. Cette fois, à travers les organisations syndicales, et la CCVC (Coalition contre le vie chère) sur lesquels leurs militants ont une influence prépondérante, ils ont immédiatement appelé à la résistance et pris les dispositions pour.
Si le Burkina continue dans une voie progressiste, voire un processus révolutionnaire, le PCRV aura un rôle à jouer. Il s’était opposé à la révolution dirigée par Sankara, malgré les avances que Thomas Sankara à leurs dirigeants pour se joindre à la Révolution. Le PCRV acceptera-t-il cette fois d’aller dans le même sens que les autres forces de gauche, ou continuera-t-il dans son attitude sectaire de contestation systématique? Dans ce cas sa force de nuisance pourrait être importante, compte tenu de son influence sur une partie de la société civile.
Un peuple uni, fier, digne et courageux… Thomas Sankara avait raison
La situation politique s’est donc éclaircie. La voie parait désormais libre pour que le peuple burkinabè puisse choisir en toute sérénité ses représentants. Bien sur, les ennemis de la Transition tenteront peut-être encore des entreprises de déstabilisation. Mais la Transition est plus solide, ses institutions plus fortes. Gilbert Diendéré fait partie des personnes dont les avoirs sont bloqués par la justice. Les Chefs militaires n’ont pas osé l’arrêter, espérons que la justice ne tarde pas à le faire.
Encore une fois, ce peuple uni, fier, digne et courageux donne l’exemple à l’Afrique, et au monde entier. Il vient de démontrer qu’aucun adversaire n’est invincible si le peuple est uni. ll n’est pas inéluctable que les institutions internationales, comme la C EDEAO, que des pays comme la France se permettent de dicter en Afrique la voie à suivre.
Beaucoup ont raillé et raillent encore ce qu’ils appellent le « populisme » de Thomas Sankara. Effectivement Thomas Sankara ne tarissait pas d’éloge pour son peuple. Ce mot traverse ses discours, ses interviews, sa pensée, sa vision politique. Ceux qui moquent cette confiance devront retenir leurs rires hautains et méprisants. Ce sont ceux que l’on retrouve aux côtés des institutions internationales comme la CEE, la CEDEAO, le FMI, la Banque Mondiale… Le peuple du Burkina lui sait reconnaitre ceux qui sont de son côté, lui qui ne cesse de se revendiquer héritier de Thomas Sankara. Oui le peuple mérite d’être valorisé. Il est le seul capable de se construire un avenir répondant à ses besoins.
Oui, Thomas Sankara avait raison.
Bruno Jaffré
Source : Médiapart