Lettre de Marie Louise Eteki-Otabela Présidente de la Coordination des Forces Alternatives (la CFA) à l'attention de l'ambassadeur Americain au Cameroun
Lettre de Marie Louise Eteki-Otabela Présidente de la Coordination des Forces Alternatives (la CFA) à l'attention de l'ambassadeur Américain au Cameroun.
Excellence, permettez que je vous réexplique
J’ai connu un Ambassadeur au Cameroun qui n’aimait pas ce titre d’excellence, trop prétentieux, trop pompeux, disait-il, il se reconnaîtra. Dommage que le bal diplomatique soit si tatillon sur l’étiquette de vos tours de piste, il nous a vraiment donné un coup de main lui, sur la question de la corruption… Une autre a même marché avec Fruh Ndi dans une manif. Elle fût priée de quitter le territoire camerounais presque manu militari. Et si je vous disais que les listes des homosexuels camerounais c’est aussi une indiscrétion diplomatique ! Nous avons même compté dans la maison Amérique des amis, de vrais, eux aussi auraient été scandalisés que l’on paie des parlementaires en fin de mandat pour qu’ils ne parlent pas : le crime économique institutionnalisé ! Il est bien vrai que tout cela se passait avant wikileaks. Depuis, trois événements ont bouleversé nos liens diplomatiques. Droit d’ingérence oblige.
Vous avez un président Africain-Américain
Le premier de ces événements a été bien évidemment l’élection de Barak Obama comme président des Etats-Unis d’ Amérique : un Américain d’origine africaine à la tête du pays le plus puissant du monde ! Vous n’avez aucune idée de ce que cette élection a représenté pour les Africains ! Il y a ceux qui n’y croyaient pas, comment une telle chose pouvait être possible. Je connais même des féministes camerounaises qui ont voté pour Hillary lors des primaires des démocrates ! Il y a ceux qui nous mettaient en garde : Obama c’est d’abord un Américain. Il n’est pas venu là pour sauver les Africains. Vous n’avez qu’à voire sa stratégie de campagne : ne pas trop insister sur ses origines noires… Personnellement je me suis fendu d’une chronique- on avait encore un journal au Cameroun « Le Messager » de Pius Njawé. J’expliquais qu’ Obama avait renversé le mythe de Sisysphe … et que c’ était une embellie.
Nous avons été quelque peu choquées de votre leçon de démocratie au rabais, Excellence ! Vous vouliez une discussion franche sur l’élection du 9 octobre ? Alors permettez-nous de vous dire combien nous sommes fatiguées de tous ces discours qui prennent toujours les africains pour des attardés mentaux depuis des siècles ! Croyez-vous réellement que notre problème aujourd’hui, c’est que nous ne savons pas ce qu’est la démocratie ? Pensez-vous qu’il a fallu 400 ans à la démocratie en Amérique pour élire un président Noir parce que Tocqueville c’était plus théorique et pas assez pratique ? Comment pouvez-vous déclarer que la mission des Etats-unis au Cameroun c’est de voir ce qu’il convient d’améliorer en termes de promotion de la démocratie. Il ne s’agit pas ici d’une marque de Coca-Cola ! Pour faire la promotion d’un produit, faut-il encore que ce produit existe !
Cela fait 50 ans Excellence, que le peuple camerounais –comme beaucoup d’autres en Afrique- résiste à un régime totalitaire, un régime politique que la France nous impose depuis la seconde guerre mondiale. Souvenez-vous du Débarquement en Normandie…pour sauver le monde libre d’un tel régime politique : était-ce de l’ingérence dans les affaires internes de la France ? Eh bien, les Africains bien que colonisés alors, étaient à vos côtés le jour de la Libération de Paris. Croyez-vous que les Français se souviennent aujourd’hui de ce que fut leur vie sous Pétain et sous l’occupation nazie ? Ils nous appliquent tout simplement le même traitement depuis 50 ans ! Vous ne pouvez pas vous en rendre compte : vous êtes né sous démocratie. Vous n’avez aucune idée de ce que c’est de vivre, de survivre sous un tel régime politique. Depuis 1957, votre premier consulat au Cameroun, date de création par décret (!) français de l’Etat camerounais, il n’y a dans ce pays ni relations bilatérales, ni intérêts communs, ni respect mutuel, ni même un quelconque partenariat et encore moins une Société Civile.
Vous êtes un Etat dans l’Etat au Cameroun
Alors il faut savoir, Excellence que les activités de votre ambassade-qui avec le siège de l’édifice qui brade notre pétrole depuis 1979…, sont les deux seules bâtiments dignes de leur mission dans ce pays en dehors du Palais présidentiel- dès lors qu’elles consistent à apporter votre appui à une Société Civile qui n’existe pas, ces activité reviennent en réalité à consolider l’Etat camerounais dont le rôle premier est la destruction permanente de toute velléité de résistance ou d’opposition collective . Ce phénomène que C. Lefort (1972, P. 118) désigne par l’anéantissement symbolique. Car « c’est la sociabilité qu’ils pourchassent comme l’ennemi de l’Etat : il s’agit de montrer que seul le Pouvoir détient le principe de ce qui est ». Tous les éléments du processus électoral aussi bien que toute la richesse du pays et même tous les pans de notre société sont confisqués par ce Pouvoir. Vous l’avez vu à l’œuvre au cours de ce processus électoral : pas étonnant que les articles et le contenu éditorial de la presse camerounaise vous inquiètent et vous paraissent absurdes. Ils doivent rester sous contrôle du Ministre de la communication ! Là aussi vous l’avez vu vociférant à longueur des médias !
Ensuite sur quoi voulez-vous que leur attention se focalise : tout débat réel sur notre société est tabou ; vous l’avez vu avec la question des tribus…C’est en fait normal que ce qui nous tient lieu de « journalistes » focalisent leur attention sur l’Ambassade des Etats-Unis dans l’espoir non avoué que les Etats-Unis agissent comme un contre-pouvoir au pouvoir français chez nous. Sachez que les Camerounais ne choisissent rien du tout dans leur pays, que tout ça nous est imposé par les Autorités françaises, d’ailleurs, toujours les premiers à connaître les résultats de nos élections, puisque ce sont eux et leurs serviteurs camerounais qui les fabriquent et donc également les premiers à en trouver « les conditions acceptables » ! Non seulement la Société Civile n’est pas une force politique au Cameroun mais elle est exactement le contraire, c'est-à-dire tout ce qui (organisation, individu) peut et doit empêcher l’existence et la visibilité des véritables forces politiques dans notre pays. Nous avons rencontré souvent quelques unes de ces grandes dames parées aux couleurs de la Société Civile dans vos murs. Certaines ont défrayé la chronique au cours de cette élection...
Enfin, de notre point de vue, la démocratie n’est pas tant une question d’efficacité que de la nature du pouvoir. L’approche « efficacité » permet d’essayer de nous persuader qu’il s’agit seulement de maîtriser un certain nombre de mécanismes nécessitant une certaine évolution. La qualité du leadership, la solidité des institutions évoluant d’une élection à l’autre comme nous le répètent les Français : si vous avez mis 50 ans à essayer d’être des pays développés, prenez votre temps…même la démocratie, vous y arriverez…prenez encore 50 ans, faites des progrès dans le respect des droits humains et tout ira mieux dans le meilleur des mondes ! Constitution ? La première que nous avons eue, fût l’œuvre de deux français…et d’ailleurs aujourd’hui, nous fonctionnons avec deux Constitutions selon l’humeur du président ! Le Cameroun est doté d’une bonne Constitution et de bonnes lois…C’est l’application qui cloche : quelle grosse blague ! La mesure de la démocratie c’est le degré de souveraineté d’un peuple. Et nous, nous savons que le peuple camerounais n’est pas souverain. Alors ne craignez pas d’être accusé d’ingérence au Cameroun, ce sont des étrangers qui font la loi chez nous, des étrangers qui gouvernent le Cameroun, ils ont même définitivement fixé notre humanité au stade primaire de la tribu ! Les intérêts étrangers sont prioritaires au Cameroun depuis si longtemps…que la pauvreté de notre peuple devient chaque jour de plus en plus irrémédiable. Comme s’il y a des peuples – ceux d’Afrique- qui sont assignés à la pauvreté, définitivement, pendant que d’autres s’humanisent tous les jours un peu plus grâce à nos richesses. Au nom de quel péché originel ?
Votre nouvelle mission chez nous
Alors que je vous réexplique Excellence, ce que le peuple camerounais attend des Etats-Unis d’ Amérique puisque même avec des chaînes aux pieds, nous avons construit l’Amérique. Nous attendons un retour d’ascenseur. Non pas des histoires de développement mais un vrai soutien politique : une sorte de débarquement ... pour nous sortir de ce régime politique. Rien ne prouve que si vous n’aviez pas débarqué en Normandie, la France ne serait pas aujourd’hui sous l’emprise du chaos. Il existe un mouvement de résistance dans ce pays depuis que les Nations Unies nous ont refusé l’accession à l’indépendance par la voie démocratique. Et nous savons tous qu’aucun pays au monde ne s’est jamais sorti de ce genre de régime politique par sa seule résistance interne. Il s’agit de nous aider à renégocier notre souveraineté, un nouveau statut politique. Vous seul pouvez faire comprendre à nos « anciens maîtres » que vouloir changer de régime politique cela n’a rien de criminel et que cela ne relève pas du terrorisme. Nous devons progresser en tandem plutôt qu’en rangs dispersés, et que les citoyens de chaque pays devraient jouir d’une égalité de chances et des mêmes libertés… c’est tout simplement une façon de partager notre vision de ce que nous souhaitons pour tous les peuples du monde. Voilà qui est bien dit.
D’abord au niveau des principes : Les valeurs consignées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres engagements mondiaux et régionaux sont compatibles avec les valeurs sur lesquelles les Etats-Unis ont été fondés il y a des siècles. Cela tombe bien. Les fondamentaux de notre combat politique sont : la souveraineté populaire, l’Etat de droit donc les droits humains universellement reconnus et l’organisation d’une Société plurielle capable de trouver des solutions aux problèmes posés par notre vivre ensemble : un des pays les plus riches du Continent, classés définitivement pays pauvre très endetté...
Ensuite au niveau des mécanismes de fonctionnement : Les Etats-Unis utilisent une large gamme d’outils pour promouvoir la liberté, dont la diplomatie bilatérale, l’engagement multilatéral, l’aide étrangère, l’établissement de rapports et la sensibilisation du public. C’est bien ce que nous constatons depuis 50 ans : votre pays soutient essentiellement les Etats et non les peuples aux prises avec les politiques totalitaires comme l’Etat du Cameroun. Combien de fois nos organisations politiques se sont retrouvées en face de « l’apolitisme» affiché de votre administration dès lors qu’il s’agit de soutenir les citoyens ou les organisations qui résistent à ces politiques anti- démocratiques. Que vous aussi, Excellence, vous nous ressortiez le couplet sur l’opposition qui n’a pas pu se réunir autour d’une candidature forte, est vraiment triste : vous qui avez chez vous une élection présidentielle à quatre (4) tours !
Enfin, s’agissant des garanties que ces principes sont réellement mis en œuvre au niveau du fonctionnement d’un Etat comme celui du Cameroun. Si réellement « les Etats-Unis étaient déterminés à œuvrer de concert avec les partenaires démocratiques, les organisations internationales et régionales, les organisations non gouvernementales et les citoyens engagés pour soutenir tous les peuples qui sont en quête de liberté », vous ne seriez pas là, 50 ans après à nous apprendre comment voter (la différence entre l’abstention et vote blanc !), vous seriez au côté de la jeunesse et des femmes camerounaises qui eux, savent que nous proposons une alternative crédible à ce régime politique depuis près de 15 ans.
Néanmoins, je me félicite également que vous aussi vous soyez maintenant acquis à ce changement car il n’y a pas si longtemps votre Secretary of State nous demandait, au cours d’une vidéoconférence (Washington-Yaoundé) dans vos murs, de lui expliquer ce que signifie « l’alternative » au régime politique camerounais.
Pour finir, permettez nous Excellence, trois dernières remarques :
1- nous vous signalons notre rapport sur l’élection présidentielle de 2004 au Cameroun à l’intention des observateurs étrangers, rapport que nous avons publié aux éditions l’ Harmattan-Paris en 2006 et dans lequel non seulement nous avons signalé les nombreuses irrégularités que certains font semblant de découvrir au 9 octobre 2011 en prétextant qu’ils relèvent de la « jeunesse » d’Elecam, mais nous y proposions également vos 18 recommandations ;
2- notre parti politique contribue à la coordination des activités d’une partie de notre classe politique depuis 1997( date de légalisation de ce parti, La CFA) et en 2003, onze de ces partis politiques ont constitué un Front des forces alternatives et se sont donné comme objectif de changer le régime politique camerounais. Ce qui a permis au reste de l’Opposition (la plupart des partis qui ont pris part à cette élection de 2011) de former une Coalition, des partis qui pensent pouvoir réformer ce régime politique ! Vous les avez vus à l’œuvre...
3- Voici ce que je disais pour conclure ce rapport de 2004 : « La question alors, honorable Forbes (un des observateur américains de l’élection de 2004) n’est pas ce que vous pouvez faire pour nous, pour nous assister ou nous venir en aide ; on peut toujours considérer que l’existence d’un tel régime est l’affaire des victimes de ce pouvoir : c'est-à-dire des Camerounais eux-mêmes. Mais comme l’enjeu fondamental dans ce genre de régime est la transformation de la nature humaine elle-même, alors l’existence de ce régime devient l’affaire de tout le monde. Si des hommes (Américains, Anglais, Français, ou Camerounais) ont été capables d’instaurer une telle horreur et quand bien même il n’existerait qu’une seule personne victime de cette expérience de domination, tous les autres devraient se mobiliser pour en venir à bout, au nom de leur propre humanité ».
Marie Louise Eteki-Otabela
Présidente de la Coordination des Forces Alternatives (la CFA)
Source : www.forces-alternatives.com