L''extration de Blé Goudé. De moins en moins de zones d'ombre.
L''extration de Blé Goudé. De moins en moins de zones d'ombre.
Arrêté au Ghana et séquestré à Abidjan: Les dessous de l’extradition de Blé Goudé
Arrêté par la police ghanéenne à Accra, le 17 janvier 2013 aux environs de 9h, tôt le matin, Charles Blé Goudé, ancien ministre de la Jeunesse du dernier gouvernement formé par le président
Gbagbo, a été extradé et remis, de façon rocambolesque, le vendredi 18 janvier à 05h du matin, aux autorités d’Abidjan. Comment une telle opération a-t-elle pu être possible ?
Le mensonge est très matinal. Pour causer ses désastres, il se lève très tôt et se met en course. Mais la vérité, même tardivement sortie de son lourd sommeil, finit toujours par rattraper le
mensonge. Cette métaphore qu’aimait enseigner le président Gbagbo en guise d’avertissement à ceux qui traitent dans l’ombre commence à se vérifier dans l’affaire dite Charles Blé Goudé. En tout
cas, le voile opaque qui couvrait jusque-là cette rocambolesque extradition de Charles Blé Goudé, du jeudi 17 au vendredi 18 janvier, entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, s’est déchiré.
Selon des sources policières, l’ex-ministre de la Jeunesse sous le président Laurent Gbagbo a échangé, 48 heures avant son arrestation à Accra, un très long coup de fil téléphonique d’environ
trois quart d’heures avec Guillaume Soro Kigbafori. Zadi Gbapê aurait exprimé, ce jour-là comme depuis quelque temps avant, son désir ardent de rentrer en Côte d’Ivoire pour retrouver les siens.
Ainsi, son ancien compagnon de la Fesci, Guillaume Soro, actuel président de l’Assemblée nationale à qui Charles Blé Goudé s’en est ouvert pour la dernière fois, n’a trouvé aucun inconvénient à
ce retour d’exil. «Je préfère la prison dans mon pays où je pourrais faire face à la justice qu’une vie de fugitif, car je sais aussi ce que c’est que d’avoir des montées d’adrénaline en
permanence et de devoir se cacher tous les jours», déclarait Guillaume Soro, au lendemain de cette extradition dans laquelle son nom a été abondamment cité, dans une interview réalisée par son
service de communication pour le compte de son site internet (voir Notre Voie du 22 janvier 2013, page 3).
En vérité, lors de la dernière conversation téléphonique avec Guillaume Soro, le président du Cojep a encore exprimé son inquiétude sur sa sécurité et d’éventuelles représailles qu’il pourrait
subir à son arrivée à l’aéroport Félix Houphouët Boigny de Port-Bouët. En vérité aussi, Charles Blé Goudé avait déjà exprimé cette angoisse lors de fréquents et longs échanges téléphoniques avec
le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Hamed Bakayoko. Cet autre compagnon d’Alassane Ouattara, au même titre que Guillaume Soro, l’aurait rassuré sur la préservation de sa vie et des
poursuites judiciaires. «En retour, Charles Blé Goudé devrait dire à son arrivée qu’il se mettait à la disposition du nouveau régime et s’engageait dans le processus de réconciliation nationale»,
raconte une source policière. Mais, fait important, tout porte à croire que le chef incontesté de la Galaxie patriotique, «ministre de la rue» sous Laurent Gbagbo, a traité avec Guillaume Soro
sans lui dire clairement qu’il négociait aussi avec Hamed Bakayoko. De son côté, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité ignorait tout des conversations téléphoniques entre Blé et Soro. Si
bien que du côté de Soro comme chez Bakayoko, chacun se croyait détenteur exclusif de «l’opération retour de Charles Blé Goudé». Enfin, selon les informations confirmées par les réfugiés
ivoiriens à Accra, Charles Blé Goudé a fait confiance à ses interlocuteurs et a fait ses bagages quelques jours avant son arrestation. Certaines de ces sources à Accra affirment qu’avant ce jeudi
17, son chauffeur aurait fait de fréquents va-et-vient entre Accra et Abidjan.
Une si longue et complexe opération
Dans les faits, c’est le dernier semestre de l’année 2012 qui a été le véritable moment de rapprochement réel entre Charles Blé Goudé et Hamed Bakayoko. Selon une source très crédible au sommet
du régime Ouattara, c’est Hamed Bakayoko qui a fait le premier pas vers Charles Blé Goudé via des connections. «Blé Goudé qui en avait marre d’être reclus au Ghana voulait quitter cet isolement,
Hamed Bakayoko a saisi la perche», affirme notre source hautement placée. Notre informateur soutient que Bakayoko et Blé Goudé ont eu des échanges sur la volonté d’Hamed Bakayoko de voir Blé
Goudé rentrer au pays «au nom de la réconci-liation». L’opération d’arrestation, d’extradition et d’incarcération de Blé Goudé, qui devait accompagner ce retour, a été organisée par Hamed
Bakayoko qui a pris le grand soin d’en informer Alassane Ouattara dans les moindres détails. Le Ghana devait pleinement coopérer. Mais personne ne sait si le volet arrestation et humiliation a
été signifié à Blé Goudé.
Mais on ne sait par quels moyens, l’information du retour de Charles Blé Goudé est parvenue à Guillaume Soro Kigbafori. Quelques sources lui ont apparemment mis la puce à l’oreille, sans lui
dévoiler le jour du déclenchement de l’opération et l’unité policière qui allait être chargée de son exécution. Les mêmes sources indiquent que Bakayoko pilotait l’opération en informant
régulièrement Ouattara. Pour la simple raison qu’il est un secret de polichinelle que Hamed Bakayoko et Guillaume Soro sont engagés dans une guerre de succession à Alassane Ouattara qui a pris
une ampleur importante depuis quelques mois. Cette guerre de succession s’est aggravée depuis que Bakayoko et Soro auraient appris, chacun de son côté, que leur commun mentor, Alassane Ouattara
songerait sérieusement, de plus en plus, à ne pas se représenter à la présidentielle 2015, pour des raisons de santé. Devenu président du Parlement et successeur constitutionnel de Ouattara, Soro
ne cache plus ses ambitions présidentielles. Selon notre haut informateur, Soro aurait même parlé de ses ambitions à des personnes à l’Onu et l’information a été rapportée à Ouattara qui aurait
déjà manifesté son agacement au successeur constitutionnel pressé. Quant à Hamed Bakayoko, même s’il se dit «pas prêt pour 2015», il est dans le starting-block pour l’après-Ouattara. Dans cette
perspective, il considère Soro comme un sérieux adversaire, un ennemi même. Et pour se donner des chances dans le futur combat, Hamed Bakayoko veut prendre la présidence du Rdr après Ouattara,
poste que vise aussi Soro, depuis sa posture de président du parlement.
Dans cette lutte, l’opération «retour de Blé Goudé» montée et menée par Hamed Bakayoko constitue pour le ministre de l’Intérieur, une opportunité de s’offrir un bon allié en la personne de Blé
Goudé. D’autant que Soro activerait aujourd’hui tous ses réseaux Fesci dans la perspective de ses ambitions présidentielles. Hamed Bakayoko qui sait que Soro et Blé sont liés au moins par leur
passé de fescistes, entendait jouer à fond la carte Blé Goudé contre Guillaume Soro. Mais il fallait en avoir la maîtrise. C’est pourquoi, la suite de «l’opération Blé Goudé» prévoirait un
procès, une condamnation puis, une libération de Blé Goudé avant la fin de cette année 2013, dans le cadre de l’élargissement général des personnalités pro-Gbagbo que le palais présidentiel
décidera. Le Cojep de Blé Goudé transformé en formation politique devait bénéficier aussi d’un financement de l’Etat dans le cadre du financement des partis politiques. Blé Goudé pourrait alors
reprendre ses activités politiques et, tout en demeurant un leader pro-Gbagbo (dans l’entendement de Bakayoko), fonctionner comme un adversaire de Soro dans l’arène politique. Un adversaire qui
connait Soro et qui pourra l’affronter aisément et l’affaiblir.
Ouattara OK pour Hamed
Alassane Ouattara a donné le OK à l’opération montée par Hamed Bakayoko. Mais avant que cette opération ne soit enclenchée, Hamed Bakayoko tombe sur l’enregistrement du long coup de fil
téléphonique de trois quart d’heures entre Soro et Blé Goudé, à partir du portable d’un homme de communication bien connu de la place. Prestement, Hamed Bakayoko a fait écouter à Ouattara la
conversation téléphonique entre Blé Goudé et Soro. Dans laquelle, au dire de notre source, Soro disait à Blé qu’il fera tout pour faciliter son retour au pays au nom de leur «fraternité». Par la
suite, et sûrement avec la caution de Ouattara, Hamed Bakayoko qui ne voulait pas que Soro scelle une alliance stratégique avec Blé connaissant les ambitions présidentielles de Soro, aurait
précipité «l’opération retour de Blé Goudé».
Mais, on ne sait encore pour quelle raison, Charles Blé Goudé est devenu méfiant. Prudent, il aurait pris le soin d’informer des journalistes d’une chaîne de télévision d’Etat française auxquels
il aurait demandé une interview pour annoncer publiquement son retour. Question de prendre l’opinion à témoin. Malheureusement, cette rencontre avec les envoyés de ce média français n’aura jamais
lieu. Car, informées de cette intention de Charles Blé Goudé qui risquait de les mettre en difficulté et provoquer le courroux de Ouattara, les autorités policières, avec à leur tête, Hamed
Bakayoko, ont décidé de précipiter l’arrestation de Blé Goudé en envoyant d’urgence une équipe de policiers ivoiriens à Accra. Ainsi, une fois dans la capitale ghanéenne, leurs homologues
ghanéens du Bureau national d’investigation (équivalant de la DST), procèderont-ils à l’interpellation du président du Cojep à son domicile. Les policiers ivoiriens informeront leurs homologues
qu’ils ont reçu comme consigne de ne pas permettre à l’ancien ministre d’alerter ou de communiquer avec une tierce personne.
Cependant, des proches de Blé Goudé sont informés de la situation dès le départ du groupe avec leur illustre «poisson». Dans les locaux de la police du Ghana, les forces de l’ordre refuseront
effectivement tout contact de Blé Goudé avec l’extérieur. La non-possession du statut de réfugié politique par Blé Goudé va faciliter la tâche aux forces de sécurité ghanéennes pour remettre
l’ancien ministre de la Jeunesse sous le président Laurent Gbagbo à leurs homologues ivoiriennes. Et, dans la nuit du jeudi 17 au vendredi 18 janvier, ils prennent la route pour la Côte d’Ivoire.
Le cortège est même aperçu le vendredi aux environs de 3h du matin dans la ville de Noé, à la frontière avec le Ghana. Charles Blé Goudé est remis, à son arrivée à Abidjan, aux policiers de la
Force de recherches et d’actions de la police nationale (Frap) qui le détient dans ses locaux «tenus secrets» à la Riviéra.
Selon toutes nos sources policières, des consignes fermes ont été données aux membres de cette force dont tous les policiers reconnaissent qu’elle est une milice tribale composée essentiellement
de ressortissants du Nord, de ne pas toucher à un seul grain de cheveu de Blé Goudé. Objectif visé, ne pas se mettre à dos les organisations de défense des droits de l’homme. Mieux, selon des
proches du ministre de la Justice, depuis que le chef de l’Etat a sermonné récemment leur patron, Gnénéma Coulibaly, en plein conseil des ministres, relativement à ses propos accusant l’ancien
procureur du Plateau, Simplice Kouadio, de ne pas maîtriser les technologies de l’information (informatique, internet…) et d’être vieux pour justifier son limogeage, la plupart des autorités se
gardent de faire du zèle dans les affaires de l’Etat. Ce qui pourrait expliquer que Blé Goudé ne soit pas jusque-là maltraité par les milices du pouvoir.
Blé Goudé n’a donc pas été extradé en exécution d’un quelconque mandat d’arrêt. Ni de la Cour pénale internationale ni de la justice ivoirienne. Charles Blé Goudé a été arrêté dans une procédure
rocambolesque parce qu’il a exprimé son désir de rentrer d’exil et qu’il a été pris en tenailles dans un conflit de succession entre Guillaume Kigbafori Soro et Hamed Bakayoko. Ce sont les
faits.
A présent que tous les calculs de Soro et de Bakayoko ont été faussés, que va faire Alassane Ouattara de ce prisonnier encombrant qu’il n’arrive pas à mettre en prison, même après son inculpation
pour de nombreux crimes contre l’humanité ? Attendons de voir.
Dossier réalisé par César Etou et Didier Kéi
Source:Abidjan.net