Après qu’il eût résisté aux pogroms coloniaux et à deux dictatures, l’une maniaque et l’autre fainéante et bordélique, le peuple camerounais échappera-t-il au filicide auquel il est main
Après qu’il eût résisté aux pogroms coloniaux et à deux dictatures, l’une maniaque et l’autre fainéante et bordélique, le peuple camerounais échappera-t-il au filicide auquel il est maintenant convié ?
Venant Mboua
Journaliste et écrivain
Objet : Votre nomination au poste de Président du comité de normalisation du droit d’auteur.
Cher monsieur Seuna,
Ce message est en réalité le témoignage d’un ancien « brûlé » du droit d’auteur camerounais, ce « droit du ministre de la Culture ».
D’emblée, je dois vous dire que dans le feuilleton de série B en propagation ces derniers temps et dont Ndedi Eyango et Ama Tutu Muna tiennent les rôles principaux tandis que Roméo Dicka campe le premier rôle de soutien, je défends Le Prince des montagnes. Rassurez-vous, il n’est pas mon ami. Je ne le connais qu’à la télé. Il est probable qu’il n’a jamais entendu parler de moi. Mais je suis ce spectateur que le scénariste de séries brésiliennes a réussi à conditionner, par son intrigue à deux balles, bâtie sur deux types de personnages : les honnêtes, gentils, sans défense, sans pouvoirs, martyrisés et les malhonnêtes, puissants, cyniques et méchants. Plusieurs semaines après le début du feuilleton, mon cœur bat encore plus pour Ndedi Eyango et je déteste encore plus le personnage de ministre et ses soutiens.
Le discours du chanteur de Nkongsamba sur le plateau de STV m’a ému. C’est la première fois que je l’entendais parler en dehors des chansons. Je découvre qu’il est un artiste et homme d’affaires lucide. Et, vous qui connaissez bien les couloirs et les mentalités du ministère de la Culture, vous avez compris pourquoi la ministre de la culture le combat : c’est un élu qui, visiblement, n’a pas su dealer. C’est un naïf qui pensait venir là pour aider à résoudre les problèmes alors que ce n’est pas ce qu’on attend d’un élu.
C’est l’erreur que j’avais commise en 2002!
Deux décennies de désordre organisé
Je vous connais depuis que je suis de près le droit d’auteur en qualité de journaliste, c’est-à-dire, une personne généralement bien informée mais, parfois aussi, intoxiquée par des sources qui ont leurs buts à atteindre. Ce sont Sam Mbende et Emmanuel Keki Manyo, mon metteur en scène aujourd’hui disparu, qui me pousseront finalement à devenir un acteur du secteur. Je savais déjà que depuis l’avènement de la gestion collective, après le vent de libéralisation de 1990, le droit d’auteur se faisait entendre uniquement par des querelles. Les ayants droit se battaient entre eux, divisés en camps avec, comme arbitre de mauvaise foi (pour ne pas dire, comme au foot du quartier, «arbitre corrompu »), le ministre de la Culture, quand ce dernier ne se colletait pas carrément avec l’un des camps. Les exemples sont légion : Stanislas Melonè (premier PCA de Socinada) contre les musiciens; le ministre Toko Mangan contre Sanding Beng. Le ministre Oyono Ferdinand contre Esso Essomba. Ferdinand Oyono contre Clément Tjomb (et ce dossier vous le connaissez bien). Oyono Ferdinand contre Manu Dibango, le ministre Oyono Ferdinand encore contre Mono Ndjana. La situation n’a pas changé après Oyono : Ama Tutu Muna contre Sam Mbende et aujourd’hui, la même Tutu Muna contre Ndedi Eyango.
Au total, plus de deux décennies de désordre cyniquement bien organisé par l’autorité de tutelle. Cela ne m’a pas empêché de penser que je pouvais apporter ma contribution, comme si, avant moi, il n’y avait pas eu de génie pour aider ce droit d’auteur à fonctionner. Et pan, sur ma grosse tête prétentieuse!
J’ai participé aux séances de concertation que vous dirigiez avant la rédaction de la loi 2000. Par la suite, j’ai contribué à la fondation de la Sociladra, la société des droits de la littérature et des arts dramatiques. Cette expérience m’avait encore poussé à y croire. On l’a sans doute oublié aujourd’hui, la naissance de Sociladra aurait pu survenir dans le sang. Deux camps se battaient et aucun ne voulait rien lâcher. Une guerre fratricide a opposé Pabé Mongo et Mono Ndjana pendant des mois. Féroces, cruelles, les attaques personnelles succédaient aux menaces physiques…
Mais le jour de l’assemblée générale fondatrice et élective, sans la supervision d’aucun fonctionnaire ni d’aucun ministre, après une demie journée de chicane, les deux camps se sont assis, se sont parlés avec sagesse : « c’est notre bien commun », entendait-on ce soir-là. Un conseil d’administration consensuel a été constitué, selon les textes et la loi.
J’ai vu des gens qui se battaient sans pitié pendant des mois fraterniser sincèrement après l’assemblée générale, certains blaguant même sur les intrigues qu’ils avaient fomentées. Je me suis dis que les artistes sont une famille qui peut avoir des discordes sans se disloquer, s’il ne vient pas un intrus pour vicier les disputes. En effet, ils font le même job, vivent la même galère camerounaise, jouent sur les mêmes scènes, subissent le même mépris gouvernemental, etc.
Ce sont des forces étrangères aux intérêts des auteurs qui organisent la pagaille. Ces forces proviennent surtout du ministère de la Culture. Je ne vous apprends rien. Les divergences entre membres s’aggravent parce que, généralement, le ministre prend position pour un camp, bien souvent pour le camp le plus malhonnête et le plus illégal. Le ministre et ses équipes utilisent les faiblesses (elles sont nombreuses) des créateurs des œuvres de l’esprit, pour les soumettre et leur voler leurs droits. Ce sont eux, qu’Hubert Mono Ndjana avait appelé, « les prédateurs ».
Les manipulés et les prédateurs
J’ai pu voir, lors de la nomination d’un directeur général à la Sociladra, des pères et mères de familles changer une résolution votée en début de séance, juste parce qu’en cours de réunion, un message annonçait que le ministre leur a promis à chacun 100.000 FCFA et qu’ils venaient de manger un plat de ndolè arrosé de vins et de whisky pendant la pause. Et ceci n’est pas un sketch! Le ministre tenait à imposer un de vos collaborateurs de la Cellule juridique comme directeur général de la Sociladra. Il l’a fait!
J’ai encore vu en 2006, un collègue comédien, engagé comme nous à résister aux manœuvres autoritaires de la CPMC, s’écrouler carrément lorsqu’il a été annoncé qu’il n’y aurait pas de perdiem pour la séance du conseil. Il m’a dit, larmoyant : « j’abandonne, je vais demander des excuses au président (de la CPMC), j’ai besoin d’argent, 200.000 FCFA. Mon fils doit reprendre l’école ce lundi ». Il était sincère. Il l’a fait. Ce jour-là, j’ai compris que combattre ne servait à rien, que je n’étais pas assez fort et armé pour lutter longtemps. Ce jour-là aussi, j’ai décidé de quitter ce milieu, même si j’avais continué l’agitation, avec d’autres camarades, « juste pour embêter », disions-nous.
En effet, en dehors de l’assemblée générale fondatrice, toutes les autres assemblées de la Sociladra ont échappé aux membres. En 2005, je fais un bluff dans le journal Mutations (mon confrère, Thiéry Gervais Gango qui m’a interviewé, m’en veut encore pour cela) : j’annonce ma candidature au poste de PCA. Je suis journaliste au Messager, à l’époque, je couvre ou je suis organisateur d’événements culturels. J’ai la sympathie et le soutien de beaucoup de membres de la Sociladra et cela laisse penser que je suis un candidat hyper favori. Le lendemain de la publication de l’article, le président de la CPMC me rencontre, en votre présence : « il faut que tu retires ta candidature, parce que le ministre d’État (Oyono Ferdinand) ne peut pas accepter qu’un anarchiste comme toi devienne le président de la Sociladra », me dit frontalement le président de la CPMC. « Et si je maintenais quand même ma candidature? » ai-je avancé. La réponse fut nette : « il n’y aura jamais d’assemblée générale de la Sociladra et nous, on va continuer de gérer votre société ». Vous étiez-là, rappelez-vous. Rappelez-vous aussi que mon collègue du Messager, Souley Onohiolo, était avec moi et que vous avez eu un échange très rude, pour ne pas dire plus.
Le conseil d’administration formé cette année-là, fut « dissout » l’année suivante, par le président de la CPMC, à travers une interview à Cameroon Tribune (!!!). Le président de ce conseil qui lui obéissait comme un gamin, s’était en fin rebellé contre ses abus. Il fallait « l’occire », constata plus tard, Mono Ndjana lui-même.
Pour toutes les sociétés, la CPMC, avait déjà, depuis un an, mué en organisatrice des assemblées générales (elle en jugeait de l’opportunité, fixait les dates, choisissait les candidats, etc.) et gérait le compte commun du droit d’auteur. On a même vu la CPMC organiser…les deuils des membres et accorder des subventions aux artistes !!! Des activités qui sortent totalement de son rôle et du cadre du droit d’auteur. Entre temps, très peu de choses ont changé de cette hyper activité, au regard de ce que j’apprends des médias.
Ce n’était pourtant pas faute d’avoir des personnes compétentes. Cette CPMC était dirigée par l’un des plus brillants hommes de droit de notre université, Magloire Ondoa. Il y avait d’autres grosses compétences, des fiscalistes, des avocats, des universitaires dont …vous-même, Christophe Seuna! Mais de toute évidence, ces personnages ne mettaient pas leur énergie et leurs vastes connaissances au service des sociétés. Toute la démarche de la commission semblait servir des intérêts autres que ceux des membres. Instructions ministérielles ou initiatives personnelles?
Avant de prendre la tête de « ces choses » créées par Tutu Muna, pouvez-vous dire aux ayants droit ce qui s’est réellement passé avec cette fameuse CPMC où on ne vous voyait plus, vous, le rapporteur? D’ailleurs, avant la fin de l’année 2005, on ne vous voyait même plus nulle part, sur les dossiers du droit d’auteur, tout chef de Cellule juridique que vous demeuriez...
Changer quoi?
Aujourd’hui, en créant « les comités », Tutu Muna nous remet la méthode Oyono. Incapable de trancher entre deux demandes de constitution de société de catégorie B, le défunt ministre avait opté pour sa société à lui. Il fit appel à Manu Dibango. Quelques mois plus tard, il le faisait débarquer sans façon en lui retirant « son agrément ». Pour noyer le bruit que les malheurs de Manu avaient provoqué, on convoqua des séances dites des « États généraux du droit d’auteur », par catégorie. Ce sont ces travaux qui ont défini la base des textes des sociétés actuelles. On a utilisé les sociétés de gestion collective pour distraire afin qu’on oublie Manu Dibango; comme jadis, la loi 2000 (une loi généreuse, du reste, pour les sociétés de gestion collective) fut un prétexte pour régler ses comptes à Esso Essomba de la Socinada. De même, au lieu de faire un audit de la gestion du droit d’auteur à son arrivée, Tutu Muna s’est contentée d’attaquer Sam Mbende, utilisant comme prétexte, la mauvaise gestion puis…des mauvaises élections (!) pour retirer l’agrément à la CMC. Vous savez tout cela.
Pouvez-vous aussi dire aux ayants droit pourquoi l’audit fait si peur aux autorités de la Culture? Nous l’avions demandé en 2006, en vain. Ndedi Eyango, en s’accrochant naïvement à cette idée, apparaît comme un éléphant furieux dans une vaissellerie. Pour sauver ses plats, il faut absolument abattre la bête. Dans le cas de nos sociétés aujourd’hui, des membres prébendiers aux ministres gourmands, en passant par des fonctionnaires braqueurs de caisses, on ne sait où commence et où s’arrête la chaîne de vaisselle à protéger.. Il me semble que vous, vous connaissez bien cette chaîne-là que Tutu Muna veut protéger en vous désignant à la tête de ces « comités ». Car que peuvent ces « trucs »? Je vous laisse répondre à l’opinion nationale dans quelques mois. Tutu Muna imite la Fecafoot dans l’esbroufe (comité de normalisation aussi prédateur que les organes antérieurs) mais ignore l’attitude des gens du foot quant à la gestion des compatriotes de la diaspora…
M. Christophe Seuna, le président du machin de normalisation que vous êtes est aussi celui qui a écrit la loi 2000. Qui a piétiné cette loi, les membres des sociétés ou les autorités de tutelle? S’il vous plaît, éclairez les Camerounais sur la question. Que va-t-on vous demander d’y changer, La loi que les ministres autocrates et gloutons ne respectent pas ou la mentalité des membres pressureurs? On vous a adjoint quelques innocentes personnes et une bande de myrmidons du système, aussi inutiles que nuisibles, de bons « créateurs d’impossibilités » depuis l’an 2000 au moins, qui n’ont qu’un rêve, vivre – grassement et facilement – de l’argent du droit d’auteur dont la plupart ne sait et ne comprend rien. Au fond de vous-même, vous savez que ces hommes et femmes n’ont aucune solution pour faire avancer la cause des auteurs. Vous les connaissez, vous les avez vus à l’épreuve depuis au moins une décennie! Pourquoi acceptez-vous cette mascarade? La responsabilité de l’universitaire que vous êtes, pétri d’expérience dans le domaine, ne vous obligeait-elle pas à décliner cette offre pourrie ? Sur qui peuvent donc compter les Camerounais pour une rédemption de notre pays, si des élites comme vous ne sont pas capables de remettre en cause l’ordre malsain établi ?
La faute au système
En fait, M. Seuna, je ne vous blâme pas. Je me plains, un peu désespéré. Je ne blâme pas non plus Tutu Muna Elle est un produit du système régnant depuis la colonisation française et auquel son père, Muna Tandeng, a adhéré jusqu’à la fin de sa carrière politique. Quand elle est arrivée au ministère de la Culture, elle a affiché une fausse humilité qui nous avait poussés à la défendre, face à la horde de nostalgiques d’Oyono. Mais l’imposture dont elle est issue a vite repris le dessus sur elle.
Cette imposture qui prospère chez nous nous détruit au quotidien et nous ne semblons même pas le constater. Qui avait imaginé que des habitants du Cameroun pouvaient se déchirer un jour sur des médias sociaux, les plateaux de radios et télévisons, autour de la nationalité d’un enfant mboo de Nkongsamba que toute la nation a vu naître et progresser dans sa carrière par son talent et son travail ? À cause des gangs de prédateurs du droit d’auteur, le Cameroun a désormais deux catégories d’enfants : les Camerounais du Cameroun, ceux qui n’ont pas pu ou voulu quitter le Cameroun (ils sont les « vrais », les patriotes, les gardiens de nos lois) et les Camerounais vivant à l’étranger, des enfants déshérités parce que mangeurs à tous les râteliers, espions des puissances étrangères dont ils ont pris la nationalité, des agresseurs sans scrupule et sans morale qui s’imaginent que vivre à l’étranger les exonère du respect de nos lois à l’équité indiscutable. On en vient encore à oublier que les lois doivent être au service des citoyens et non l’inverse. Parce que même les régimes les plus ignobles ont des lois : le régime hitlérien, l’apartheid, la colonisation, voire la traite des Noirs, étaient fondés sur des lois.
Au-delà des querelles autour du droit d’auteur, voilà la bombe que Tutu Muna – par irresponsabilité ou sous pression ? – a balancée sur ce qui reste de la nation. Et que vous avez accepté de cautionner!
Après qu’il eût résisté aux pogroms coloniaux et à deux dictatures, l’une maniaque et l’autre fainéante et bordélique, le peuple camerounais échappera-t-il au filicide auquel il est maintenant convié ?
Par Venant Mboua
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